LA CHAPELLE DE LA CALANQUE DE PORT-MIOU
Gustave l'ensoleillé
Le soleil peut être redoutable sous le ciel si clément de notre cité. Par ses coups de chaleur si on n’y prend garde, ses effets peuvent être inattendus. Il y a quelques années, un homme d’un âge avancé, vivant seul de ses rentes en a fait la malheureuse expérience. On n’a jamais pu savoir exactement ce qui lui était passé par la tête. Les uns affirment que c’était à cause d’un séjour un peu trop prolongé au soleil et sans casquette à espincher les baigneuses plus ou moins nues et alanguies sur les roches plates du Bestouan. Les autres plus romantiques prétendaient qu’un cupidon bigleux s’était trompé de cible après un vin d’honneur un peu trop arrosé. Toujours est-il que ce monsieur que nous appellerons Gustave, a vécu une drôle d’aventure et surtout, il a animé les rues du village à lui tout seul pendant une quinzaine de jours.
Au sortir d’un rendez-vous chez le médecin, monsieur Gustave se rendit à la pharmacie du village muni de son ordonnance. La pharmacie était tenue par une quinquagénaire, veuve et plutôt coquette. Elle était occupée avec une cliente et son petit garçon. Vint le tour de Gustave.
La pharmacienne : « Bonjour Monsieur Gustave, comment allez-vous ? »
Il lui tendit l’ordonnance.
Gustave : « Voyez vous-même, quelques petits soucis. »
La pharmacienne : « Ah, rien de bien grave. Avec mes petites pilules dans une semaine vous aurez rajeuni de vingt ans ! »
Gustave : « Oh là là, ce serait un miracle ! »
Le vieux monsieur prit ses médicaments, paya et rentra à pied chez lui.
Il prit son traitement conformément aux prescriptions du médecin pendant une semaine durant laquelle notre homme vaquait à ses occupations habituelles.
Au bout de la semaine, son attitude changea d’un seul coup. On le voyait aller et venir à différentes heures devant la pharmacie. Il n’osait pas entrer. Et on devinait facilement à ses mimiques une certaine contrariété. Un matin il fit le pied de grue pendant une demi-heure devant la pharmacie en lisant jalousement quelques phrases griffonnées sur un bout de papier. Monsieur Gustave attendait que la pharmacienne, appelons-la Lucienne, ouvre son officine. Elle arriva à pied par la Grand’Rue toujours aussi bien mise et, du bar proche, les clients entendirent ses talons aiguilles battre joliment le trottoir. Elle salua Gustave, ouvrit le rideau de fer.
A peine avait-elle enclenché la clé dans la serrure de la porte vitrée que Gustave intervint. Il s’approcha d’elle, tomba à genoux et se mit à déclamer à tue tête:
« Il ne faudrait qu’un mot de toi
Pour que je sois ton chevalier
Tous ces émois que tu as mis en moi
Je te les rendrai par milliers
O ! Ma tendre olympienne
O ! Ma douce pharmacienne
Dis-moi oui. O ! Ma Lucienne
Dis-moi oui que tu sois mienne ! »
La première phrase avait résonnée dans la rue comme les trompettes de Jéricho en faisant trembler les verres sur le comptoir. Par curiosité, les clients sortirent du bar pour voir ce qui se passait. Des vers récités à haute voix en pleine rue, ce n’est pas très habituel de nos jours et cela avait attiré l’attention du monde. Des femmes se penchaient aux fenêtres, les passants détournaient leur regard et les clients qui faisaient la queue à la boulangerie voisine tendaient une oreille attentive. Lucienne était pétrifiée. Elle n’avait eu aucune réaction. Elle était restée figée avec ses clés à la main. Quand Gustave eut fini, il se mit debout et attendit. Il attendait un compliment, une réponse, un rendez-vous peut être.
Mais ce qu’il entendit, ce fut un énorme éclat de rire venu de toute la rue. Lucienne toute rouge et confuse, reprit ses esprits. Elle dit gentiment à Gustave de la laisser tranquille, elle avait du travail et que de toute façon elle n’avait rien compris à ce qu’il lui avait dit. Elle ouvrit la porte et la referma immédiatement derrière elle.
Gustave tourna les talons et avec la satisfaction du travail accompli, traversa la rue le sourire aux lèvres. Il entra dans le bar et but un café. Personne n’osait lui parler. Il paya et en saluant la compagnie, il dit :
« Vous avez bien rigolé, mais en attendant, elle n’a pas dit non ! »
Aquarelle de Magdalena Cymerman
Et toute la journée, les grands, les petits, les hommes, les femmes, les jeunes et les vieux se demandèrent quels étaient les médicaments que Lucienne avait donnés à Gustave pour le mettre dans un tel état !
Les jours qui suivirent, furent comme le premier, seuls les poèmes changeaient. La mise en scène était rigoureusement la même. Il déclarait sa flamme à Lucienne qui ne répondait jamais.
Au bout de quelques jours, les gens commençaient à se lasser des récitals journaliers de Gustave. Plus personne ne s’amusait de sa comédie. De plus au bar, certains le charriaient en lui disant que non seulement, elle ne lui répondait pas mais depuis le premier jour elle ne lui parlait même plus. Pas un mot. Cela dut vexer Gustave car il rentra chez lui l’air pensif.
Le lendemain matin, pas de sérénade. Les optimistes pensaient que ce brave Gustave avait enfin pris conscience de son erreur. Les pessimistes, eux affirmaient que ce bon Gustave n’en resterait pas là.
Il débarqua sur les coups de onze heures. D’un pas déterminé il entra dans la pharmacie et au beau milieu de la demi-douzaine de clients il se mit à hurler :
« Lucienne mon aimée je ne peux plus attendre !
Dis-moi oui ou dis-moi non !
Mais dis-moi quelque chose ! »
La pharmacienne complètement prise au dépourvu, ne voulant pas causer un esclandre ou vexer le pauvre homme devant le monde lui dit gentiment :
« Laissez-moi tranquille et peut-être je vous répondrais ! »
La réponse enchanta Gustave. Il quitta l’officine et rentra chez lui d’un pas pressé en chantonnant « Elle m’a parlé, alors c’est d’accord ! »
La catastrophe est arrivée vers les cinq heures de l’après-midi quand le plus gros de la chaleur n’est pas encore dissipée, quand le moindre mouvement superflu change le rythme de votre activité naturelle en roulements de tambour et que l’atmosphère moite vous transforme en robinet ambulant qui fuit. C’est terrible. Pas moins de trois gendarmes en sueur, deux adjoints au maire affolés, un garde champêtre haletant et deux proches de la famille aux abois, venus en toute hâte, furent nécessaires pour réparer l’irréparable !
Ce brave Gustave complètement saoul, ivre des paroles de la pharmacienne qu’il avait bues comme un philtre d’amour, avait vidé ses livrets de Caisse d’Epargne. Il avait entamé une généreuse distribution à coup de billets de cinq cents francs. Il les offrait à toutes les personnes qu’il croisait sur son chemin, partageant ainsi son immense bonheur.
Le grand malheur fut évité, la presque totalité des billets fut récupérée. On plaça Monsieur Gustave au frais en supprimant son traitement dont la pharmacopée resta un mystère.
Le reste du temps, l’astre adoré se contente de briller et d’éclairer le monde.
Un récit de Robert Monetti.
Aquarelle de Magdalena Cymerman
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